Notre réaction au TempsPrésent du 22 août 2024

L’émission TempsPrésent (eh oui, sans espace) du jeudi 22 août 2024 était intitulée « Un marché juteux: les dessous insoupçonnés des gravats suisses » et montrait qu’une grande partie des terres d’excavation étaient exportées en France, engendrant un nombre considérable de trajets de camions, ce qui n’avait aucun sens en matière d’écologie et mettait en péril certains acteurs suisses du secteur.

Si cette émission est fort intéressante pour comprendre ce « marché juteux des gravats suisses », elle pourrait nous faire penser qu’il faudrait bien mieux les enfouir chez nous et que par conséquent, les décharges et les gravières dans nos cantons auraient tout leur sens, ce d’autant plus qu’ensuite, les entreprises renaturalisent l’endroit, illustrant cela par renard au milieu d’une carrière dévastée et une flaque (un étang?) avec quelques têtards y nageant joyeusement.

Cela nous a tous interpellés à l’ASBBE, car cela laisse penser que la destruction de la forêt de Ballens (entre autres), l’extraction de son gravier, le remblai du trou ainsi créé avec des gravats, puis son reboisement, seraient justifiés et porteraient beaucoup moins atteinte à l’environnement.

Or ce n’est évidemment pas le cas pour toutes les raisons que nous évoquons ici depuis le mois de juin.

Parce qu’il manque tout un pan de réflexion à cette émission, à savoir: pourquoi continue-t-on à partir dans le tout béton, alors que des alternatives existent?

En conséquence, l’ASBBE a écrit à TempsPrésent la lettre qui suit.

Madame Ducret,

C’est avec un immense intérêt que les membres de notre Association ont visionné votre reportage intitulé « Un marché juteux, les dessous insoupçonnés des gravats suisses ».   Notre toute jeune Association de Sauvegarde des Bois de Ballens et environs (ASBBE), dans le canton de Vaud, s’est donné pour mission de sauver une forêt séculaire.   Cette belle forêt du Sépey est en effet vouée à l’éradication en raison d’un projet de gravière pharaonique — le plus gros gisement du canton de Vaud — équivalent à six fois celui du Mormont.

Ce sont 18,5 millions de mètres cubes de gravier qui seront retirés du sous-sol de la forêt, sur 60 mètres de profondeur. L’immense trou sera comblé par des terres d’excavation.

En visionnant votre reportage, nous avons été choqués de prendre connaissance de la réalité des transports transfrontaliers générés par les chantiers genevois, et nous vous félicitons pour votre enquête documentée.

Il paraît en effet insensé qu’un canton, ici Genève, délivre autant d’autorisations de construire, sans exiger en contrepartie que les entreprises soient en capacité de gérer sur place l’énorme quantité de terre générée par leurs chantiers.

La problématique des transports est aussi centrale dans notre dossier.

De votre reportage, un peu comme une fatalité, il ressort que ces entreprises, débordées par la masse de terres excavées, n’ont d’autres solutions que: 

  • De la transporter hors de nos frontières; 
  • D’ouvrir de nouvelles gravières pour garantir son enfouissement. 

Or d’autres solutions existent, comme nous avons été amené.e.s à le découvrir. 

Pour comprendre la problématique de ce vaste sujet, nous avons puisé de nombreuses informations dans l’enquête de heidi.news dont vous avez très certainement connaissance.

Il nous semble qu’un complément d’enquête, pour éclairer une autre voie possible, celle des innovations en termes de matériaux de construction et surtout de recyclage des terres de chantier, serait vraiment nécessaire.

En effet, des chantiers, tels que le CHUV à Lausanne, utilisent des briques de construction fabriquées à partir des terres d’excavation. Voir par exemple: http://www.opus-terra.ch/   Le béton de terre d’excavation est également une alternative sérieuse au béton traditionnel. 

Notre Association s’est entretenue avec plusieurs architectes en activité, dont le président de la Fédération des Architectes suisses, section Romandie: tous nous expliquent que cette réutilisation des terres de chantier a un avenir prometteur. 

En aucun cas, il ne faudrait les qualifier de déchets.(https://actu.epfl.ch/news/favoriser-la-terre-crue-au-lieu-du-beton-pour-chan/)

L’ouverture de gravières, à la fois pour en exploiter le gravier pour la production de béton, puis comme unique solution pour l’enfouissement de ces terres d’excavation, n’est ni viable pour les populations qui en subissent les conséquences (transports, bruit, poussière), ni durable.

Comme vous le savez, le béton est un matériau extrêmement polluant, son impact carbone est énorme et les réserves de gravier, matériau non renouvelable, seront épuisées dans un futur proche.

L’avenir de la construction n’est plus au tout béton. Pour les entreprises travaillant dans le domaine, comme Holcim et Orllati, il s’agit d’une fuite en avant, ces deux entreprises faisant des bénéfices stratosphériques tant lors de l’exploitation de la gravière, que lors du transport et de l’enfouissement de ces fameuses terres de chantiers.

De même, l’avenir de la construction ne devrait plus reposer sur la démolition systématique des anciennes constructions, mais bien sur la rénovation du bâti existant. À Genève, les m2 de friches industrielles et autres locaux vacants, dont le potentiel de rénovation existe, sont énormes.

En résumé, comme exprimé plus haut, nous serions vivement intéressé.e.s par un second volet à votre reportage, qui informerait des possibilités existantes en termes de construction durable.

Avec comme fil rouge, la nécessaire protection de la biodiversité et des écosystèmes: en effet, le pauvre renard errant dans les gravats, ou ce crapaud dans sa flaque, qui illustraient votre reportage, donnent une image triste et stérile de la nature. La renaturation des sites, vantée par les exploitants des gravières en partenariat avec les cantons, est tout bonnement du greenwashing. En effet, l’équilibre naturel détruit sur une telle surface d’exploitation prendra des décennies, voire plus d’un siècle, à être reconstruit.

Nous vous remercions vivement, Madame Ducret, de l’attention que vous porterez à notre courrier et nous vous adressons nos salutations les plus cordiales. 

Nous restons bien entendu à votre disposition pour toute information dont vous auriez besoin concernant nos attentes ou sur les buts de notre Association.

Le Comité de l’ASBBE